Prologue
Le soleil n’était levé que depuis peu, ce matin-là. Le mois de mars touchait à sa fin, tout comme l’hiver qui tentait encore, en vain, de repousser les assauts d’un printemps mécontent de voir la nature endormie et qui s’empressait de la réveiller à grands coups de cloches. Encore engourdi par le sommeil et en pleine digestion de son petit-déjeuner, un adolescent de dix-sept ans, de taille moyenne, les cheveux châtains ébouriffés et les yeux d’un bleu d’acier, somnolait devant la grille de son école. Yugi Hawkins n’était pas aussi en forme et motivé que les autres élèves qui affluaient, non pas parce qu’il n’aimait pas l’école, mais plutôt parce qu’il détestait se lever si tôt le matin. Il aurait de loin préféré rester dans son lit et n’aller en cours que l’après-midi. Appuyé contre le muret qui cernait la cour devant l’entrée, emmitouflé dans sa veste gris foncé dont il redressait le col, Yugi était sur le point de s’assoupir lorsqu’il aperçut enfin, à quelques mètres devant lui, la silhouette qui était pour lui la plus familière de toutes. Elle était féminine, élégante et arborait une belle chevelure d’or. Lorsqu’elle fut assez proche, il put distinguer ses magnifiques yeux verts, aussi scintillants que deux étoiles tout juste écloses d’une nébuleuse. Ses lèvres pulpeuses, légèrement teintées de rose, firent un bruit assez plaisant lorsqu’elles rencontrèrent sa joue. Son cœur se réchauffa aussitôt : Kitsune Taylor, sa meilleure amie, était là.
Cela faisait maintenant sept mois qu’ils se connaissaient, précisément depuis le jour de la rentrée scolaire. Yugi redoublait sa cinquième avec le préjugé injustifié d’être entouré d’une bande de gamins prétentieux et insupportables. Ses appréhensions s’étaient révélées en partie exactes : les garçons chahutaient et gigotaient comme des singes en cage, tandis que les filles passaient leur temps à se pomponner ou à faire de leurs cheveux une espèce de serpillière poisseuse en les recoiffant toutes les deux minutes. Mais il y avait cette fille souriante aux yeux pétillants à côté de laquelle il s’était assis par hasard lors du premier cours de l’année. Bien qu’assez timides et réservés l’un envers l’autre au début, ils étaient devenus inséparables en quelques temps à peine…
« Il faut que je te parle… » écrivit Kitsune.
« Pourquoi pas maintenant ? »
« Parce que, je ne veux pas… Je ne veux pas que quelqu’un trouve ce papier et le lise à tout le monde. » continua-t-elle, sa main légèrement tremblante.
« T’inquiète pas, je les garde tous dans une boîte, chez moi… »
« Oui, mais… »
Elle n’eut pas le temps d’écrire la fin de sa phrase : le professeur venait de taper du poing sur son banc, la faisant sursauter avant de lui arracher le papier des mains. Sans un mot, il le jeta à la poubelle et continua son cours comme si de rien n’était.
Yugi et Kitsune avaient l’habitude de passer leur temps de midi ensemble, assis sur les bancs en dessous du préau de la cour. C’était le seul moment de la journée où ils pouvaient avoir une véritable discussion, seul à seul, sans être interrompus par un professeur antipathique ou une oreille trop indiscrète.
En sept mois, ils avaient réussi à se connaître presque aussi bien que frère et sœur. Yugi lui avait révélé ce qu’il cachait dans son esprit, ce qui le tourmentait, ce qu’il ne disait à personne… Kitsune, bien qu’elle ait encore du mal à parler de tout, faisait des efforts pour libérer une éclaircie dans les nuages qui foisonnaient dans son cœur meurtri.
Tout le monde vit des moments difficile, et c’est parfois difficile d’en faire part à quelqu’un. Comment savoir si l’on n’opprime pas les autres avec nos angoisses et nos tristesses ? Comment savoir si l’on peut tout dire? Comment faire pour se débarrasser d’un poids sur le cœur lorsque l’on est seul ? Il n’y a qu’une seule réponse à toutes ces questions : se faire un ami. C’est un besoin contre lequel on ne peut rien faire. Yugi et Kitsune avaient tous deux longtemps cherché à combler ce vide et s’étaient finalement trouvés. Ils étaient devenus tellement dépendants l’un de l’autre qu’ils s’étaient promis de ne jamais se séparer, quoi qu’il arrive.
Yugi repoussa Kitsune par les épaules et essuya les larmes qui coulaient sur ses joues rosies. Il la serra une nouvelle fois dans ses bras en lui faisant remarquer :
Ils rejoignirent les classes de cours bras dessus, bras dessous, Yugi soutenant son amie peinée. Lorsqu’ils traversèrent le couloir, ils suscitèrent parmi les élèves les chuchotements et les messes basses habituels qui concernaient sans nul doute leur mystérieuse relation : on les voyait toujours ensemble, mais pourtant, ils ne montraient aucun signe de rapports amoureux. Ils auraient très bien pu sortir ensemble, mais tous deux savaient que l’autre n’était pas « la personne qui n’existait que pour eux », comme ils disaient. Ils le savaient au plus profond de leur cœur : ils sentaient qu’un jour cette autre personne viendrait à eux et que ce moment n’était pas encore arrivé. Et puis, l’amitié leur suffisait amplement…
À la fin de la journée, ils sortirent de l’école en silence et traversèrent la cour jusqu’à la grille. Ils s’arrêtèrent et se jetèrent des regards gênés. Ils ne s’étaient plus dit un mot depuis le temps de midi, comme si quelque chose les empêchait de se parler. Ce fut Yugi qui brisa ce silence pesant :
Yugi marcha quelques mètres pour rejoindre l’arrêt de bus et grimpa à l’intérieur de celui qui arriva deux minutes plus tard. Il était presque vide, comme d’habitude, seules quelques rares personnes empruntant cette ligne. Il suivit une route de campagne sinueuse bordée tantôt de petites maisons, tantôt de vastes champs ondulés, puis s’enfonça dans un village sombre, jusqu’au pied d’une imposante église de pierre dominant le seul chemin qui menait à la maison du jeune homme. Elle était assez différente des autres : construite au dix-huitième siècle, elle était en pierre bleue, plus grande et encerclée d’un vaste jardin où trônait un cerisier étrange qui, Yugi le savait, fleurirait plus tard que les autres. Il grimpa l’allée de graviers jusqu’à la porte d’entrée, sortit les clés de son sac à dos, soupira et entra chez lui.
Cela faisait maintenant sept mois qu’ils se connaissaient, précisément depuis le jour de la rentrée scolaire. Yugi redoublait sa cinquième avec le préjugé injustifié d’être entouré d’une bande de gamins prétentieux et insupportables. Ses appréhensions s’étaient révélées en partie exactes : les garçons chahutaient et gigotaient comme des singes en cage, tandis que les filles passaient leur temps à se pomponner ou à faire de leurs cheveux une espèce de serpillière poisseuse en les recoiffant toutes les deux minutes. Mais il y avait cette fille souriante aux yeux pétillants à côté de laquelle il s’était assis par hasard lors du premier cours de l’année. Bien qu’assez timides et réservés l’un envers l’autre au début, ils étaient devenus inséparables en quelques temps à peine…
- Encore à la même place, vous deux ? s’égosilla le professeur, apparemment mécontent de voir les deux acolytes prendre place une fois de plus dans le fond de la classe, et ce pour des raisons qui n’avaient rien de studieux.
« Il faut que je te parle… » écrivit Kitsune.
« Pourquoi pas maintenant ? »
« Parce que, je ne veux pas… Je ne veux pas que quelqu’un trouve ce papier et le lise à tout le monde. » continua-t-elle, sa main légèrement tremblante.
« T’inquiète pas, je les garde tous dans une boîte, chez moi… »
« Oui, mais… »
Elle n’eut pas le temps d’écrire la fin de sa phrase : le professeur venait de taper du poing sur son banc, la faisant sursauter avant de lui arracher le papier des mains. Sans un mot, il le jeta à la poubelle et continua son cours comme si de rien n’était.
- Tu vois ? rétorqua-t-elle à l’oreille de son ami.
Yugi et Kitsune avaient l’habitude de passer leur temps de midi ensemble, assis sur les bancs en dessous du préau de la cour. C’était le seul moment de la journée où ils pouvaient avoir une véritable discussion, seul à seul, sans être interrompus par un professeur antipathique ou une oreille trop indiscrète.
- De quoi voulais-tu me parler ? demanda Yugi en posant son sandwich sur la table.
- Rien. Laisse tomber, c’est pas important.
- Tu vas pas me refaire le coup du « tout va bien », quand même ?
- Je t’assure que…
- Arrête de mentir, l’interrompit-il, les sourcils froncés. Tu sais bien que je n’aime pas ça. T’as dit que tu devais me dire quelque chose, donc fais-le !
- Mais…
- Il n’y a pas de « mais » qui tienne ! Je suis ton meilleur ami ! Tu es censée pouvoir me parler de tout, non ?
- Je ne vois pas pourquoi tu te sens gênée de me parler, ajouta-t-il.
- Je ne suis pas gênée…
- Écoute. Il n’y a aucune raison pour que j’aille répéter ce que tu veux me dire et encore moins pour que je m’éloigne de toi ou que je te rejette. Je suis ton ami ! Aie un peu confiance en moi !
En sept mois, ils avaient réussi à se connaître presque aussi bien que frère et sœur. Yugi lui avait révélé ce qu’il cachait dans son esprit, ce qui le tourmentait, ce qu’il ne disait à personne… Kitsune, bien qu’elle ait encore du mal à parler de tout, faisait des efforts pour libérer une éclaircie dans les nuages qui foisonnaient dans son cœur meurtri.
Tout le monde vit des moments difficile, et c’est parfois difficile d’en faire part à quelqu’un. Comment savoir si l’on n’opprime pas les autres avec nos angoisses et nos tristesses ? Comment savoir si l’on peut tout dire? Comment faire pour se débarrasser d’un poids sur le cœur lorsque l’on est seul ? Il n’y a qu’une seule réponse à toutes ces questions : se faire un ami. C’est un besoin contre lequel on ne peut rien faire. Yugi et Kitsune avaient tous deux longtemps cherché à combler ce vide et s’étaient finalement trouvés. Ils étaient devenus tellement dépendants l’un de l’autre qu’ils s’étaient promis de ne jamais se séparer, quoi qu’il arrive.
Yugi repoussa Kitsune par les épaules et essuya les larmes qui coulaient sur ses joues rosies. Il la serra une nouvelle fois dans ses bras en lui faisant remarquer :
- Tu vois, je suis toujours là…
Ils rejoignirent les classes de cours bras dessus, bras dessous, Yugi soutenant son amie peinée. Lorsqu’ils traversèrent le couloir, ils suscitèrent parmi les élèves les chuchotements et les messes basses habituels qui concernaient sans nul doute leur mystérieuse relation : on les voyait toujours ensemble, mais pourtant, ils ne montraient aucun signe de rapports amoureux. Ils auraient très bien pu sortir ensemble, mais tous deux savaient que l’autre n’était pas « la personne qui n’existait que pour eux », comme ils disaient. Ils le savaient au plus profond de leur cœur : ils sentaient qu’un jour cette autre personne viendrait à eux et que ce moment n’était pas encore arrivé. Et puis, l’amitié leur suffisait amplement…
À la fin de la journée, ils sortirent de l’école en silence et traversèrent la cour jusqu’à la grille. Ils s’arrêtèrent et se jetèrent des regards gênés. Ils ne s’étaient plus dit un mot depuis le temps de midi, comme si quelque chose les empêchait de se parler. Ce fut Yugi qui brisa ce silence pesant :
- Mon regard sur toi ne changera pas, tu resteras toujours ma meilleure amie quoiqu’il arrive… Tu le sais, non ?
- Oui, je le sais, répondit-elle en saisissant le bras de Yugi pour le presser contre elle.
- Alors s’il te plait, la supplia-t-il, ne me laisse plus dans l’ignorance aussi longtemps. Je sais que ce que tu as vécu est difficile, mais tu as bien vu que je n’ai pas changé mon regard sur toi…
- Chut ! Quelqu’un pourrait t’entendre…
Yugi marcha quelques mètres pour rejoindre l’arrêt de bus et grimpa à l’intérieur de celui qui arriva deux minutes plus tard. Il était presque vide, comme d’habitude, seules quelques rares personnes empruntant cette ligne. Il suivit une route de campagne sinueuse bordée tantôt de petites maisons, tantôt de vastes champs ondulés, puis s’enfonça dans un village sombre, jusqu’au pied d’une imposante église de pierre dominant le seul chemin qui menait à la maison du jeune homme. Elle était assez différente des autres : construite au dix-huitième siècle, elle était en pierre bleue, plus grande et encerclée d’un vaste jardin où trônait un cerisier étrange qui, Yugi le savait, fleurirait plus tard que les autres. Il grimpa l’allée de graviers jusqu’à la porte d’entrée, sortit les clés de son sac à dos, soupira et entra chez lui.